PIRATERIE - LES SOLUTIONS JURIDIQUES, FINANCIERES ET TECHNOLOGIQUES
Un débat à Brest sur la thème « Quelles solutions juridiques, financières et technologiques pour lutter contre la piraterie ? ».
Malgré la mise en place d’importantes forces navales pour protéger le trafic maritime, la piraterie n’a pas faibli en 2009.
Début décembre, on recensait, au large de la Somalie, plus de 200 attaques, soit le double de l’année précédente. Alors que les pirates interviennent de plus en plus loin de leurs bases, rendant plus difficile leur localisation, la piraterie a également continué de sévir dans d’autres régions, comme le l’Afrique de l’ouest ou l’Asie du sud-est. Face à cette menace, la communauté internationale tente de réagir par divers moyens, individuels ou collectifs.
Nous diffusons aujourd’hui les propos tenus lors d’une table ronde qui s’est déroulée à Brest, début décembre, au cours des Assises de l’Economie maritime ( Voir le site Economiedelamer.com ).
Animé par Vincent Groizeleau, Rédacteur en chef de Mer et Marine, ce débat avait pour thème : « Quelles solutions juridiques, financières et technologiques pour lutter contre la piraterie ? ».
Les intervenants étaient les suivants :
Christian GARIN, Président d’Armateurs de France
Le contre-amiral Pierre MARTINEZ, de la Marine Nationale
Christian MENARD, Député du Finistère ; Secrétaire à la Commission de la défense nationale et des forces armées
Jacques KUHN, Président de l’armement de pêche Cobrecaf
Pierre de SAQUI de SANNES, Conseiller institutionnel France, Afrique et Moyen-Orient de CMA CGM
Marc LE ROY, Directeur marketing produit chez DCNS (aujourd’hui directeur du site de Saint-Tropez)
Philippe WAQUET, Président d’Automatic Sea Vision (Sea On Line)
Au cours de cette table ronde, l’amiral Pierre-François FORISSIER, Chef d’Etat-major de la Marine, est également intervenu.
(© ECONOMIEDELAMER.COM)
Vincent GROIZELEAU : La piraterie fait toujours beaucoup parler d’elle, malgré la mise en place il y a un an de l’opération européenne Atalante. Toutes les semaines, de nouvelles attaques ont lieu. Quelles en sont les conséquences ? Les moyens mis en place sont-ils adaptés ?
Christian MENARD : La piraterie existe depuis la nuit des temps. On en retrouve des traces 5 000 ans avant JC dans le golfe persique. Elle sévit ensuite en Méditerranée et même Jules César a à en pâtir car il a été fait prisonnier par des pirates ! Tout le monde connaît la saga des pirates anglais, français ou espagnols dans les Antilles... Au début du XIXe siècle, Thomas Jefferson, alors président des Etats Unis, a missionné une opération navale sur les côtes libyennes pour en éradiquer les barbaresques. Ce n’est pas sans rappeler ce qui se passe maintenant au niveau européen avec Atalante...
Contre-Amiral Pierre MARTINEZ : Depuis 2007, la piraterie a dépassé un seuil médiatique de visibilité, principalement sur les côtes somaliennes. L’agression sur le Ponant a vraiment réveillé le problème et décidé l’Etat Français à ne pas se laisser faire. Sur la zone Golfe d’Aden et les côtes somaliennes, on a recensé 37 attaques en 2007, 160 attaques en 2008 et, à ce jour, on en est à 237 pour 2009. En ce moment, seraient détenus par les Somaliens 12 navires et 264 otages. Chaque semaine, on assiste à 5 à 6 attaques. Dans les deux années écoulées, 639 pirates ont été appréhendés et 22 tués. Ces résultats sont significatifs, mais la mer est grande ! La force européenne, l’opération Atalante, regroupe 8 frégates de différents pays sous commandement hollandais et deux ou trois avions de patrouille maritime. La piraterie est en train de s’étendre sur les zones non couvertes par Atalante, principalement à l’Est de la Somalie jusqu’aux Seychelles et jusqu’au canal du Mozambique. Il faut aujourd’hui continuer les efforts entrepris. Ces efforts sont de deux natures : les efforts visibles, ce sont les navires et les équipements militaires, mais aussi les efforts non visibles, qui sont essentiellement des efforts d’organisation (comportements à bord, routes à suivre, information, etc.) et des actions sur les pays riverains. Ces dernières commencent à connaître une certaine efficacité, même en Somalie.
Jacques KUHN : Nous avons une flotte de pêche qui opère en Océan Indien, très différente des bateaux de commerce. Nos bateaux sont plus vulnérables car ils ne traversent pas, ils sont en pêche. Le problème est compliqué par le fait que la pêche au thon nécessite de suivre le poisson, qui est migrateur. Je précise que, contrairement à ce qu’on a pu lire dans les médias, nous ne pénétrons jamais dans les eaux territoriales de la Somalie (nous sommes toujours en dehors des 200 miles nautiques). Je précise aussi que le thon tropical pêché n’a rien à voir avec le thon rouge de Méditerranée. Après une première alerte en 2008 au moment du Ponant, nous avons assisté à une recrudescence du danger en 2009, avec des armes très modernes (roquettes) et la prise d’un gros bateau de pêche espagnol.
Fin mai, en accord avec les services gouvernementaux, ont été mises en places des mesures de protection plus appropriées. Ces mesures (surcoût à la mer) sont prises en charge par les armements (elles coûtent entre 50 et 60 000 par mois et par bateau). Elles font l’objet d’un protocole, qui ne devait à l’origine durer qu’une seule campagne, mais qui est pour le moment prolongé jusqu’en mars 2010. Ce protocole fait suite à des mesures successives de restriction de la zone de pêche.
Le système mis en place est un système de protection. Il est constitué d’une Equipe de Protection Embarquée (EPE), constituée de 5 fusiliers marins. Les bateaux fonctionnent en couple, de manière que celui qui est en pêche puisse être défendu par l’autre. En cas d’alerte, les hommes d’équipage sont mis dans une zone sécurisée et restent sur la passerelle le Commandant, le Second et les fusiliers. Les attaques sont souvent menées par 2 ou 3 petites vedettes rapides de pirates, disposant au large d’un navire mère. Ce dernier héberge souvent des otages, ce qui lui garantit une certaine impunité.
Cette dissuasion a eu un effet remarquable. En effet, depuis sa mise en place, toutes les attaques sur des bateaux français ont été repoussées, ce qui n’a pas été le cas pour les navires espagnols. On se félicite donc de cette collaboration avec les militaires, dont l’acceptation dans nos bateaux n’a posé aucun problème. En revanche, cette situation qui perdure depuis deux ans maintenant impose des surcoûts d’exploitation et nous sommes arrivés à la limite de ce qui est économiquement acceptable. Je signale que le problème dépasse aujourd’hui largement les côtes somaliennes... Il faudrait s’attaquer aux navires mères pour éradiquer le problème, sinon les pirates vont augmenter le périmètre de leurs forfaits bien au-delà de la Somalie !
Vincent GROIZELEAU : La Marine peut-elle durablement entretenir ces EPE auprès des navires de pêche ?
Amiral Pierre-François FORISSIER : Notre système est organisé pour s’inscrire dans la durée. Pour l’instant, cette surcharge est gérable dans le cadre de nos budgets actuels. Si cela devait perdurer, peut-être faudrait-il faire appel à l’argent public. On peut tenir deux ou trois ans, mais pas au-delà car on ne peut être sur le terrain et former les jeunes en même temps. Il est exclu de créer des postes pour ces opérations puisque nous nous inscrivons dans la logique du Livre Blanc, qui prévoit la suppression de 6 000 postes d’ici 2015.
Christian MENARD : Sans recourir à des sociétés privées de sécurité, n’est-il pas imaginable d’utiliser des réservistes ?
Amiral Pierre-François FORISSIER : On s’en sert déjà. Mais nous ne voulons pas de bavures et il faut donc travailler avec des personnels très entraînés. C’est pour cela que les réservistes ne peuvent représenter qu’un appoint marginal. Cela dit, la montée constatée de la violence nous inquiète et la venue de mercenaires ne serait pas un facteur de diminution de cette violence. De plus, si nous sommes hostiles à des sociétés privées, c’est parce que nous voulons garantir le plein engagement de l’Etat.
Vincent GROIZELEAU : Certains armateurs ont recours à des sociétés militaires privées. Qu’en est-il en France ?
Christian GARIN : Pour Armateurs de France, la sûreté est une mission régalienne de l’Etat et elle ne saurait être prise en charge par quelqu’un d’autre. Cette position concerne les bateaux battant pavillon français ou bien battant pavillon étranger mais contrôlés par des armateurs français. Contrairement aux thoniers, les bateaux de transport ne font que traverser les zones dangereuses.
Notre première décision a donc été d’essayer d’éviter ces zones. Certains pétroliers ont des trajectoires d’évitement correspondant à deux jours de mer (500 ou 600 miles nautiques). Ces phénomènes de piraterie s’inscrivent maintenant dans la durée et ils se sont industrialisés. Ils deviennent maintenant un frein au développement économique et aux échanges maritimes. La piraterie moderne a commencé il y a quelques années dans le détroit de Malacca ; on la retrouve aujourd’hui dans l’Océan Indien, mais également sur la côte Ouest de l’Afrique. C’est donc un phénomène qui se développe. Parmi mes bateaux, il y a actuellement au moins une attaque par semaine...
Autre fait important, les pirates s’organisent. Ce ne sont plus des amateurs ! Il y a douze ou dix-huit mois, la rançon était versée en espèces par un petit avion au-dessus du bateau pris en otage. Chaque village de la côte touchait un petit pourcentage de l’opération et c’était presque anecdotique. Les pirates d’aujourd’hui sont surarmés ; ils agissent par groupes avec une logique quasiment militaire et ils impactent les coûts mondiaux du transport maritime (90 % des marchandises passent par la mer). Ce sont donc les consommateurs qui paient, in fine.
Vincent GROIZELEAU : Cette incidence sur les coûts peut-elle être perceptible par le consommateur ?
Christian GARIN : La réponse à cette question est complexe. Si un container coûte aujourd’hui 1 000 < pour parcourir la ligne Asie-Europe, un surcoût « piraterie » de 10 % impactera forcément les marchandises qu’il contient. Rapportés à un téléviseur, ce ne sera pas forcément significatif, mais c’est quand même inacceptable. La solution de la navigation protégée en convoi n’est pas définitive, car elle n’empêche pas les attaques. L’effort des différentes marines a rendu le golfe d’Aden beaucoup plus sûr, mais le problème s’est déplacé plus au large.
Pierre de SAQUI DE SANNES : Nous avons deux bateaux par jour qui traversent le golfe d’Aden. Ce sont des porte-conteneurs, qui naviguent à 20/25 noeuds, avec des francs-bords de plus de 5 mètres et qui sont normalement à l’abri des attaques. Mais, vu les risques, notre réponse est de les faire passer à pleine vitesse, soit à 25 noeuds. Cela a un surcoût de pétrole de l’ordre de 60 tonnes, soit 20 M< par an. Ce surcoût est le seul pour les porte-conteneurs, car nous n’acceptons pas le surcoût d’assurance de 0,1 % de la valeur du bateau par passage demandé par les compagnies. Le deuxième surcoût est celui engendré par les lignes qui desservent la côte Est de l’Afrique.
Cela représente 5 bateaux par semaine et le détour imposé, en accord avec la Marine, coûte en carburant environ 5 M< par an. Le vrai problème est au Kenya et en Tanzanie. On s’est encore fait attaquer la semaine dernière. Aucun armateur ne voudra bientôt plus armer un bateau pour aller dans cette zone. Les solutions ne sont pas nombreuses : soit on envoie des gros porteurs au sud de Madagascar et ensuite on les décharge avec des feeders qui resteront à l’abri dans les eaux territoriales, soit on a recours à des sociétés de défense privées (même si cela ne nous plait pas beaucoup) car il n’y a pas d’EPE possible dans cette zone ; nous avons été contactés par plus de 20 sociétés privées de protection au lendemain de l’incident du Ponant.
Les coûts de l’une ou l’autre des deux solutions seront déterminants. Pour autant, nous proposons deux possibilités pour faire baisser nos risques :
sécuriser un corridor Seychelles/Mombasa, mais cela demande beaucoup de moyens ;
faire « labelliser » par l’Armée Française certaines sociétés de protection privées.
Des problèmes juridiques seraient ensuite à aplanir : qui paye ? Le propriétaire, l’armateur, l’affréteur ? Pour finir j’adresse un très grand merci à notre marine au regard de ce qu’elle fait dans le golfe d’Aden.
Christian GARIN : Sur les questions juridiques posées par ce type d’intervention, je dois dire qu’elles sont très complexes. Il suffit de voir les problèmes soulevés par l’arrestation des pirates du Ponant, en dehors de nos eaux territoriales, pour s’en persuader. Revenons à l’essentiel : les bateaux battant pavillon français ou européen sont protégés par la force Atalante. La difficulté concerne les autres pavillons avec d’autres équipages et les zones non protégées par Atalante... Quid aussi des droits de sociétés privées pour repousser des assaillants avec des armes ? Tout cela est très compliqué.
Vincent GROIZELEAU : Les bruits courent qu’il y aurait eu certaines bavures de la part du personnel de sociétés privées de surveillance sur des bateaux non français ...
Contre-Amiral Pierre MARTINEZ : Personnellement, je n’en ai jamais entendu parler. On ne peut pas en éliminer totalement le risque, même si ces sociétés sont là pour la seule protection des navires et des équipages.
Christian MENARD : À ce sujet, il sera intéressant de suivre l’expérience espagnole, qui utilise les services de sociétés privées. J’en reviens à ma suggestion d’utiliser des réservistes ; ils seraient, de toute façon, préférables aux sociétés privées. En France, pour respecter la forme juridique du traitement des actes de piraterie, il faut une incrimination, un tribunal compétent et une procédure pénale. L’incrimination peut se faire aux motifs d’association de malfaiteurs. La question de la compétence du tribunal et celle de la procédure sont plus ardues.
Notez que la compétence universelle n’existe pas en droit français. Pour la procédure pénale, on s’appuie sur une loi du 15 juillet 1994, mais il y a un vide juridique entre le moment où l’on arrête les pirates et celui où ils sont transférés chez nous. En France, il faut normalement faire appel à un procureur. Mais la Cour Européenne a condamné la France pour les procédures employées lors de l’arrestation des trafiquants du Winner, en estimant que le procureur n’avait pas toute liberté par rapport à l’exécutif. On pourrait donc imaginer de faire appel au juge des détentions et des libertés ou de faire venir des officiers de police judiciaire dans les bateaux. Tout cela peut paraître excessif, mais la défense des pirates s’organisant elle aussi, il sera nécessaire d’apporter des réponses adaptées à ces vides juridiques.
Actuellement, que fait-on des pirates que nous arrêtons ? Des accords sont signés avec les pays riverains (Kenya, Seychelles et bientôt Tanzanie) pour prendre en charge le jugement de ces pirates et leur détention. Cela implique la transposition de la convention de Montego Bay dans leur droit national. La mise en place de cette solution, qui paraît la meilleure, nécessite aussi une aide de notre part à ces pays.
Vincent GROIZELEAU : Les opérations à terre pour éradiquer le mal « à la racine » sont-elles efficaces ?
Contre-Amiral Pierre MARTINEZ : Le mal, c’est une extrême pauvreté, un Etat faible ou complètement failli, comme en Somalie, et une possibilité de gain facile par la piraterie. Le problème est donc très complexe. En Somalie, la solution retenue est de développer un minimum de gouvernance dans les régions riveraines et de leur former suffisamment de moyens de police. Cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant... La piraterie, comme les virus, mute (professionnalisation) et s’étend géographiquement. La côte ouest de l’Afrique, malheureusement, comporte des caractéristiques de grande pauvreté et de gouvernements faibles. Les ingrédients sont donc réunis pour avoir de la piraterie au large de l’Afrique de l’Ouest (Nigéria).
Pierre de SAQUI DE SANNES : Au Nigéria, nous n’avons encore subi aucune attaque car elles sont concentrées actuellement sur les plateformes pétrolières et sur les bateaux qui les ravitaillent. La Somalie est un cas particulier. Le Ponant en est un bon exemple. Nous pensions qu’ils allaient piller le bateau et repartir. En fait, les pirates ont gardé le bateau car ils ont pu l’emmener en toute impunité sur la côte somalienne. Ce n’est possible dans aucun autre endroit au monde. La racine du mal est uniquement sur les côtes somaliennes... Bien sûr, si rien ne bouge,l’exemple somalien peut donner des idées à d’autres...
Vincent GROIZELEAU : Quels systèmes de protection contre les pirates peut-on embarquer à bord des navires ?
Marc LE ROY : Notre coeur de métier, c’est plutôt la Défense et la Marine Française représente 70 % de notre activité. Notre vocation est d’apporter des moyens de sécurité, à tous les types de plateformes, des plus petites aux plus grosses. Nous avons travaillé sur un système de surveillance et de sécurité maritime, MATRICS. Cet outil permet de faire le tri entre toutes les informations reçues, tout en analysant les comportements anormaux. Nous développons une version encore plus sophistiquée de ce système en utilisant des bases de données plus complètes. Nous étudions aussi des systèmes de détection à très longue portée, ainsi que des systèmes optiques ou optroniques. Il s’agit de techniques dérivées de techniques utilisées dans le combat de navires militaires. Financés par la Commission Européenne, nous travaillons également sur la surveillance de l’espace maritime européen pour arriver à une certaine normalisation des différentes pratiques européennes. C’est le contrat i2C, qui préfigure un système complètement intégré de protection des frontières européennes à l’horizon 2015.
Nous nous sommes intéressés également à la fabrication des bateaux de protection eux-mêmes, les patrouilleurs hauturiers, en anglais les OPV (Offshore Patrol Vessel). Nous avons développé ainsi la gamme GOWIND, mieux adaptée à la piraterie. Ces OPV disposent d’une passerelle panoramique avec une vision à 360° et d’une mature spéciale permettant à toutes les antennes et à tous les senseurs, une « vision » panoramique elle aussi. En collaboration avec les Commandos de la Marine, nous avons ajouté à ces patrouilleurs la capacité de mettre à l’eau très facilement des embarcations rapides, condition indispensable à une intervention efficace. Il est également prévu que les OPV puissent recevoir un hélicoptère et travailler avec des drones d’identification qui peuvent être aériens ou de surface (Unmanned Surface Vehicles). Comme ces OPV sont relativement simples à fabriquer, ils sont 10 fois moins cher qu’une frégate et nous avons un certain nombre de prospects déjà intéressés.
Vincent GROIZELEAU : Que pense la Marine de ce type d’engins pour la lutte contre la piraterie ?
Contre-Amiral Pierre MARTINEZ : Les moyens que nous utilisons n’ont pas été étudiés spécifiquement pour la piraterie. Ces patrouilleurs sont évidemment très bien adaptés pour cela, mais ils ne pourraient en aucun cas remplacer des bâtiments existants affectés à des missions précises de protection.
Vincent GROIZELEAU : L’action d’Automatic Sea Vision vise à éviter toute surprise en mer...
Philippe WAQUET : Notre société a été créée par des marins et des experts en système d’information pour réaliser des systèmes de vision en mer. Je voudrais focaliser mon propos sur l’importance de l’alerte. Attaquer en route un navire de charge, cela demande de la détermination, du sang froid, l’attaquant étant en position défavorable à ce moment-là. Son seul avantage est l’effet de surprise. C’est donc sur l’alerte que portent nos efforts et les recommandations de l’Organisation Maritime Internationale vont d’ailleurs dans ce sens. À l’heure actuelle, les moyens de détection des navires de commerce sont assez limités. Le radar n’est pas adapté à la détection de petites embarcations proches ; les jumelles demandent une vigilance de tous les instants, particulièrement rébarbative la nuit. À cela s’ajoutent les effets de masquage, dus aux superstructures ou à la cargaison. Les moyens techniques existent aujourd’hui pour pallier ces inconvénients. C’est ce que nous avons développé avec notre système qui utilise des caméras thermiques et qui donc fonctionne jour et nuit de la même manière. Au coeur du système, il y a un logiciel de détection automatique qui repère tout ce qui est sur l’eau et qui fait le tri entre ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas. L’alarme est 100 % efficace en cas d’attaque de pirates. Les actions suivantes peuvent alors être mises en oeuvre : déclenchement automatique d’une sirène d’alarme, pointage automatique d’un projecteur vers l’assaillant, pointage automatique des canons à eau, déclenchement de dispositifs de protection (barrières, confinement, etc.). Nous pensons que ce dispositif, combiné avec une attitude déterminée de l’équipage associée à une réponse graduée, permet dans bien des cas de faire échouer l’attaque. Cette solution équipe aujourd’hui deux navires, dont l’un opère en Afrique de l’Ouest et l’autre en Somalie.
Christian GARIN : Cette solution n’est absolument pas un gadget et elle va dans le bon sens car elle constitue une réponse efficace en évitant de mobiliser des EPE ou autres partout. Cependant, la dissuasion seule ne sera pas toujours suffisante.
Pierre de SAQUI DE SANNES : Tant que la communauté internationale n’aura pas pris des mesures radicales, essentiellement en Somalie, j’espère que l’amiral FORISSIER conservera les dispositifs existants, voire les étendra jusqu’aux Seychelles et au Kenya !
Christian MENARD : La piraterie est évidemment très préoccupante. Je voudrais insister sur le Code de Conduite de Djibouti, signé par 9 Etats régionaux le 29 janvier 2009, qui prévoit la création d’un corps de garde-côtes, c’est extrêmement important. Car les conséquences de la piraterie sont économiques, mais elles sont aussi géostratégiques. Les pays riverains de cette zone (Somalie, Yémen, Erythrée, Ethiopie), sont très affaiblis et les Seychelles, dont l’économie repose sur le tourisme et la pêche à 50/50, va au-devant de grandes difficultés à cause de la piraterie. Il faut prendre la mesure de l’évolution des pirates. Certains ont sans doute intérêt à mobiliser des forces dans le golfe d’Aden, pour laisser certaines zones de l’Atlantique plus ouvertes. Quelle que soit l’évolution de la piraterie, une chose me paraît certaine : la mer ne sera plus jamais aussi sûre qu’auparavant !