PIRATERIE MARITIME : Anne-Sophie Ave, délégué général d’Armateurs de France : "La lutte contre la piraterie passe par l’adaptation du droit international"
Les problèmes posés par la piraterie ont été pris " à bras le corps " depuis avril 2008. Mais la sécurité des navires gagnerait à une transposition en droit international des dispositions de la Convention de Montego Bay. En Somalie, la solution passe aussi par une amélioration de la situation " à terre ".
Plus de 90 navires attaqués depuis janvier, avec une explosion de la piraterie au large de la corne de l’Afrique, que vous inspire ce constat ?
Il ne nous surprend pas. En 2007, on a dénombré 250 actes de piraterie, le constat n’est donc pas nouveau. Ce qui l’est plus en revanche, c’est que les pirates se "professionnalisent". On doit cependant reconnaître qu’entre 2007 et 2008, le problème de la piraterie a été pris à bras le corps par la France et d’une façon très intelligente et concertée. En clair, la France agit aujourd’hui sur deux dimensions parallèles et indissociables. D’une part, elle met en place des moyens militaires pour sécuriser les zones sensibles et d’autre part, elle agit sur le plan diplomatique, avec l’ONU, pour tenter de mobiliser la communauté internationale sur la situation politique somalienne. Par ailleurs, il faut préciser que les tentatives d’attaque n’aboutissent pas toutes. Dans une majorité de cas, plus de 2 sur 3, les tentatives d’agression échouent.
La France a-t-elle les moyens militaires d’assurer la sécurité des navires ?
Elle a des moyens sur place. Mais ils ne sont pas suffisants. Son action doit être coordonnée avec celle des autres états européens dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune. Et sur ce plan, l’effort de coordination existe bel et bien. La preuve, le dispositif européen est opérationnel depuis septembre 2008. Il s’agit concrètement, de la mise en place d’escorte par des navires militaires. Les navires de commerce français disposent aussi du " système de contrôle naval volontaire" précédent qui leur permettait, une fois dans le golfe d’Aden ou vers la Somalie, de se signaler aux forces militaires françaises basées à Djibouti. Mais tout le problème est de savoir où se situe exactement le navire. En effet, pour qualifier une attaque de "piraterie", il faut que l’attaque soit commise en haute mer (au-delà des 12.000 miles nautiques) ; ainsi les pirates du " Ponant " seront-ils jugés en France et ils iront certainement en prison. Mais si l’acte délictueux est commis hors des eaux internationales, il relève du droit commun des Etats.
Existe-t-il ces failles dans le droit qui permettent à la piraterie de prospérer en Somalie et que faut-il faire pour les combler ?
Certainement. Aujourd’hui par exemple, même si l’on arrête un navire soupçonné d’être un " navire mère " (c’est-à-dire servant de base "offshore pour les navires rapides des pirates"), le droit international ne dit pas ce que l’on doit faire des pirates une fois interpellés. Le cas s’est produit. Un équipage danois est monté, au large de la Somalie, à bord d’un bateau qu’il soupçonnait de piraterie et y a trouvé un arsenal d’armes. Son seul recours a été de " promener " les pirates durant 12 jours avant de les relâcher sur une plage et de couler par le fond leur navire. La raison ? La peine de mort existe en Somalie et la convention de Vienne (sur les droits de l’Homme) interdit de remettre les pirates à leur état d’origine si celui-ci pratique la peine de mort et le droit danois ne fixe pas un cadre juridique clair pour juger ces délits .
Alors que faut-il faire ?
Tout d’abord, il y a urgence à court terme à sécuriser la navigation. A plus long terme, il faut agir par la diplomatie, ce qui signifie qu’il n’y aura pas de solution sur mer tant que les problèmes sur terre ne seront pas réglés. Il existe aujourd’hui en Somalie une " économie " de la piraterie, comme il existe un " marché de l’enlèvement ", en Colombie. Notons que la communauté internationale doit veiller à maintenir la distinction entre terrorisme et piraterie. Il faut donc que le droit international, qui est le seul droit applicable en haute mer, évolue sur ce point comme sur d’autres. Et les solutions existent : elles se trouvent dans la Convention de Montego Bay (voir document ci-dessous) qui résulte d’une réflexion de plusieurs années à toutes ces questions.
Certains prônent la présence d’hommes en armes à bord des navires de commerce, que pensez-vous de cette hypothèse ?
Les armateurs de France respectent le droit. La situation est simple : si un homme embarqué sur un navire français tue un homme, qu’il s’agisse d’un pirate ou non _ le cas s’est vu en Egypte ou des marins ont fait feu sur un marchand qui s’approchait d’un navire américain _ son acte est, de droit, assimilé à un crime avec préméditation dès lors que l’homme a été embarqué avec des armes létales et donc le risque assumé qu’il s’en serve. C’est pourquoi nous sommes, tout comme les marins français, opposés aux milices armées à bord des navires. Enfin, selon nous la présence de telles milices conduirait à une escalade de la violence du côté des pirates. Ce qui n’est de l’intérêt de personne.
Propos recueillis par Jean-Michel Gradt Lesechos.fr Le 19 novembre 2008