OTAGES NIGERIA : "Sur le marché de l’otage, le Français est bien coté"
3 Français qui travaillaient pour le groupe Bourbon (matériel pour extraire du pétrole) ont été enlevés par des rebelles nigérians, dans le golfe de Guinée mercredi. Un enlèvement qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher du rapt de 5 autres Français au Sahel, par Al-Qaida au Maghreb Islamique la semaine passée. Au Niger, AQMI poursuit des buts politiques et souhaite faire peur aux entreprises françaises. Au Nigéria, la situation est totalement différente. C’est juste une question d’argent.
Sur Le Post, Alice Ellenbogen, consultante en sécurité au cabinet Risk & Co, spécialiste de la piraterie au Nigéria explique que les deux affaires n’ont rien à voir...
Par rapport à la Somalie, où on a l’habitude d’entendre parler d’enlèvement par des pirates, le Nigéria est-il dangereux ?
« Le Nigéria est classé 2ème au classement de la piraterie, et des incidents se produisent de plus en plus régulièrement depuis 2006. Il y a 2 ans, un autre équipage du groupe Bourbon avec 6 Français avait été enlevé au large des côtes camerounaises. A l’époque, c’était par les Bakassi Freedom Fighters, un groupe de rebelle qui a une tendance criminelle sous couvert de revendications autonomistes. »
Qui a enlevé les trois Français cette fois-ci ?
« Il me paraît peu probable qu’il s’agisse des Bakassi Freedom Fighters, car l’endroit où s’est produit l’enlèvement se situe près du fief du MEND, un autre groupe rebelle qui souhaite l’autonomie du Delta du Niger. Le MEND est divisé en plusieurs factions, un peu comme l’IRA : le groupe « canal historique » a proposé son aide pour localiser les otages, mais il y a une multitude de petits groupes assez autonomes. »
Y a-t-il un vrai business de l’otage au Nigéria ?
« Les pirates ont des motivations financières indéniables. Il y a un vrai marché du prix de l’otage au Nigéria. Et dans ce marché, le Français est bien coté, car plusieurs groupes français sont implantés au Nigéria (comme Total). Ces sociétés ont relevé leur niveau de sécurité depuis le début des années 2000. Par exemple, les populations expatriées vivent dans un compound, une sorte de beau bunker sécurisé. Statistiquement, on voit que les prises d’otage visant les Occidentaux ont baissé depuis cette période. »
Mais alors, si le niveau de sécurité autour des expatriés a augmenté, comment expliquer l’enlèvement relativement facile des 3 Français ?
« Les pirates arrivent à avoir les horaires des bateaux, qui sont obligés de passer par l’embouchure de la Bonny River. Avec 5 ou 6 speedboats, des types qui tirent à la kalachnikov pour faire peur... Mais c’est possible de les en empêcher : il faut toujours avoir des armes à bord et disposer d’une radio pour prévenir la marine nigériane. »
Le fait que le bateau naviguait de nuit n’a pas dû aider... « La marine nigériane n’est pas très réactive, et la nuit encore moins... Mais parfois, la marée ou un retard en amont fait qu’on n’a pas le choix. On ne peut pas parler d’une faille dans leur sécurité, mais qu’ils ont été au mauvais endroit au mauvais moment. »
Comment se passe la négociation ?
« La concomittance de cet enlèvement avec le rapt des Français au Niger va pousser le Quai d’Orsay à intervenir. Mais ça se cantonnera au niveau diplomatique, l’armée n’a pas le droit d’intervenir dans les eaux territoriales du Nigéria. L’armée nigériane n’interviendra pas, elle est trop occupée à sécuriser le pays pour l’élection présidentielle de 2011. Lors de la dernière prise d’otage en 2008, l’entreprise avait payé après des négociations. »
Les otages sont-ils bien traités ?
« En général oui. Il arrive même que les preneurs d’otages leurs fournissent des médicaments si besoin. Mais le terrain où ils seront retenus est plus éprouvant : c’est la mangrove, une zone où il fait très chaud et très humide. »
Source : LePost.fr