OTAGES DANS LE MONDE : Les rapts de Français explosent dans le monde (LE FIGARO)
Expatrié expérimentant une plante contre le paludisme kidnappé au nord du Mali, cadres français du secteur automobile enlevés dans les faubourgs de Buenos Aires, employé d’ONG disparaissant au cur de la Somalie, technicien supervisant la construction d’écoles cible d’un rapt en plein Kaboul... Selon le dernier bilan fourni par le ministère des Affaires étrangères, cinquante-neuf Français ont été la proie de ravisseurs en 2008 à travers le monde, contre seulement onze en 2004.
Dans la même période, le nombre des pays ayant été le théâtre d’une prise d’otage de Français a triplé, passant de cinq à quinze ! Et la liste des zones dangereuses répertoriées par le ministre des Affaires étrangères ne cesse de s’allonger. Outre l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan et le Yémen, y figurent le Pérou, le Tchad, le Venezuela, l’Algérie, la Colombie, le Soudan, le Nigeria, la Géorgie ou encore Madagascar. Face à la sensibilité du phénomène, le Quai d’Orsay a décidé de ne plus communiquer sur le nombre d’otages français retenus ou libérés en 2009. Actuellement, huit de nos compatriotes, dont deux journalistes de France 3, sont entre les griffes de bandes criminelles, dans une demi-douzaine de pays.
« Depuis six ans, le kidnapping visant nos salariés à l’étranger a explosé, déplore Olivier Hassid, délégué général du Club des directeurs de sécurité des entreprises. Le temps des sociétés franchouillardes n’osant franchir les frontières est révolu. Sans cesse à la recherche de relais de croissance pour dégager de nouveaux profits, nos entreprises s’implantent dans des zones de plus en plus complexes... et s’exposent davantage à une menace multidimensionnelle. »
À titre d’exemple, un constructeur comme Renault, présent dans une dizaine de pays dans les années 1980, rayonne désormais dans 118 nations. Soucieuses d’éviter toute publicité fâcheuse, les entreprises ont longtemps tenté de régler les enlèvements de manière hasardeuse et peu professionnelle. En Colombie, au Brésil ou au Nigeria, une vie française peut se marchander entre 50 000 et 250 000 euros.
Un vrai marchandage de tapis ! Des sommes plus exorbitantes, frisant le million de dollars auraient même été exigées. « Il existe un chiffre noir du nombre d’otages kidnappés, sans que l’État en soit informé, décrypte le commissaire divisionnaire Amaury de Hauteclocque, patron du Raid. Plutôt que de faire appel à la police, les entreprises contractaient des assurances avec des compagnies anglo-saxonnes pour payer dans la plus grande confidentialité les rançons, sans même tenter de négocier. » Un effet d’aubaine pour les ravisseurs, qui auraient tenté de monnayer la libération d’un Français pour des montants jusqu’à 100 fois supérieurs aux tarifs en usage avant de baisser leur prétention. Début 2000, l’expatrié français serait devenu un gibier de tout premier choix, notamment dans les Caraïbes, en Amérique latine ou encore en Afrique.
Les pouvoirs publics ont réagi, avec la création d’une cellule de crise au ministère des Affaires étrangères. De son côté, le Raid a signé dans la plus grande discrétion une série de protocoles d’assistance depuis 2008 avec une quinzaine de firmes françaises. Spécialisées dans l’hôtellerie, l’industrie du loisir, l’énergie ou les travaux publics, elles invitent les superflics à former leurs cadres, à bénéficier d’audits de sécurité sur certains pays dangereux et de conseils en gestion crise. « Nous offrons aussi une aide technique à la libération d’otages, grâce aux liens privilégiés que nous entretenons avec les unités d’intervention , notamment en Afrique », précise le commissaire de Hauteclocque. Le service est gratuit ou presque : les sociétés n’ont qu’à payer le transport et le séjour des négociateurs de la police.
En revanche, la confidentialité des opérations - autrefois absolue - est partagée avec le ministère de l’Intérieur, informé en temps réel des opérations. « Outre la récupération des otages, le but de l’État est de garantir la mise en place de moyens techniques de géolocalisation pour intercepter les ravisseurs et des négociations pour faire chuter les prétentions », confie un haut fonctionnaire. Ainsi, dans les Caraïbes, des kidnappeurs qui avaient exigé 150 000 euros d’emblée ont finalement accepté 4 000 pour relâcher leur victime après un vrai marchandage de tapis ! Dans le même esprit, le GIGN conduit lui aussi des missions d’audit et de conseils auprès des cadres envoyés à l’étranger. « Longtemps, les entreprises ont été appelées à la conquête de nouveaux marchés sans être accompagnées par les pouvoirs publics, précise-t-on chez les gendarmes d’élite. Notre devoir est de leur proposer notre expertise alors qu’elles s’évertuent à gagner des parts de marché. »
Mais la menace évolue : loin des organisations très structurées, une nuée de bandes criminelles sévissent par opportunité, en multipliant les flash kidnappings au hasard des rencontres. Dans un livre de référence à paraître sur la sécurité en entreprise (Éditions Maxima), Olivier Hassid et Alexandre Masraff décrivent cette nouvelle tendance comme « une méthode facile pour des populations pauvres et une jeunesse désuvrée pour soutirer quelques centaines ou quelques milliers de dollars à des multinationales ».
Parmi les experts, il se chuchote qu’une future agence parapublique pourrait faciliter notre conquête de régions à reconstruire comme l’Irak, l’Afghanistan ou le Nigeria. Interministérielle, elle serait le maillon indispensable entre les univers clos du renseignement, du business, des services d’intervention et des officines privées.
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Mieux vaut être désormais armé pour aller chercher du business dans des théâtres hostiles, où le treillis se porte avec la même aisance que le costume trois pièces. Pour cela, les acteurs économiques français mettent enfin les bouchées doubles pour rattraper des concurrents anglo-saxons déjà madrés. Dès 1973 par exemple, IBM rédigeait un guide pratique à l’usage de ses expatriés évoluant en zone dégradée.