Otages : le tabou de la rançon
Comme les gouvernements précédents, l’exécutif assure qu’il ne versera aucune rançon pour libérer les sept otages enlevés la semaine dernière au Cameroun. Une version officielle souvent contredite par le passé.
Jean-Yves Le Drian est formel : "On ne négocie pas sur ces bases-là, avec ces groupes-là." Le ministre de la Défense ne veut laisser aucune place à l’ambiguïté, au lendemain de la publication sur Internet par le groupe islamiste Boko Haram d’une vidéo dans laquelle on peut voir les sept otages français enlevés la semaine dernière au Cameroun. L’un des membres de la secte djihadiste conditionne leur libération à celle de djihadistes détenus au Nigeria et au Cameroun. Réponse de Jean-Yves Le Drian : "On ne joue pas à ce jeu de surenchères, parce que ça c’est le terrorisme." Une position déjà martelée par François Hollande début février, à propos cette fois des otages retenus au Sahel : "Il n’y a pas de questions financières qui puissent être évoquées." Une déclaration qui faisait suite à celle de Vicki J. Huddleston, ex-ambassadrice des Etats-Unis à Bamako, qui affirmait que la France avait payé une rançon importante, peut-être jusqu’à 17 millions de dollars, pour les otages enlevés à Arlit, au Niger. "L’argent, on sait faire"
Officiellement, l’exécutif se refuse à céder à tout chantage des terroristes et assure qu’il n’y aura aucune négociation, ni en terme d’argent, ni même en terme de libération de détenus. "On ne va certainement pas leur donner la preuve qu’ils peuvent soutirer de l’argent aux Etats de cette façon. Même si cela réduit les marges de manuvre", expliquait la semaine dernière au JDD.fr, Hélène Conway, ministre chargée des Français à l’étranger. Alain Marsaud, le député UMP de la 10e circonscription des Français de l’étranger - celle où sont retenus les otages - se voulait moins consensuel : "La nouvelle doctrine du gouvernement est qu’aujourd’hui, on ne paye plus de rançons. Je ne voudrais pas être à la place de celui qui va négocier, compte-tenu du fait que des enfants sont pris en otages."
De gouvernement en gouvernement, alternance politique ou pas, la position de la France reste la même : ne jamais évoquer publiquement une quelconque rançon. "Nous ne négocions pas sur ces bases", répondait Alain Juppé à Aqmi en mars 2011, encore au sujet des otages français au Sahel. Même discours du gouvernement au moment de la libération d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, libérés en juin 2011 après avoir été retenu 18 mois en Afghanistan. Une version officielle contredite par l’un des otages. Dans son livre 547 jours (Albin Michel), Hervé Ghesquière racontait avoir été reçu à l’Elysée par Nicolas Sarkozy, qu’il avait alors questionné sur la remise d’une rançon. Réponse du président : "Pour moi, ça n’a jamais été un problème, l’argent, on sait faire." Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte anti-terroriste à la DST (Direction de la surveillance du territoire), décryptait alors pour leJDD.fr : "La France a toujours négocié pour libérer ses otages en faisant des concessions. Il y a forcément des rançons versées, des libérations de prisonniers..." Mais officiellement, rien n’avait filtré. Pas de doctrine en matière de rançon ?
En février 2010, la presse africaine s’interrogeait aussi sur la libération du français Pierre Camatte, enlevé dans le nord-ouest du Mali en novembre de la même année. Comme l’avait réclamé Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), quatre terroristes avaient alors été libérés par le Mali moins de 48 heures avant sa libération. Troublante coïncidence.
Des doutes s’étaient aussi exprimés au moment de la libération d’Ingrid Betancourt, en décembre 2008. Certaines informations de presse faisaient état d’une rançon. Le ministre des Affaires étrangères d’alors, Bernard Kouchner, démentait. Un peu plus tard, en novembre 2008, il expliquait qu’il n’y avait pas de doctrine en matière de rançon. "S’il y en avait une, je ne vous la donnerais pas, mais il n’y en a pas", avait-il dit sur Canal+, interrogé sur l’enlèvement en Afghanistan d’un humanitaire français, Dany Egreteau, libéré en décembre 2008.
L’aveu de Morin
En mai 2006, le Times affirmait que la France, l’Italie et l’Allemagne auraient accepté de payer 45 millions de dollars (35 millions d’euros) pour obtenir la libération de neuf de leurs ressortissants pris en otage en Irak. Selon le journal britannique, la France aurait payé 25 millions de dollars pour la libération en juin 2005 de Florence Aubenas (10 millions) et de Christian Chesnot et Georges Malbrunot (15 millions) en décembre 2004. Paris, Rome, et Berlin ont toujours démenti.
Certaines erreurs de communication laissent toutefois penser que la rançon figure parmi les leviers de négociations avec les terroristes. En avril 2009, le ministre de la Défense d’alors, Hervé Morin, en avait donné l’exemple. Il avait alors admis que les négociateurs français avaient donné de l’argent aux pirates qui retenaient cinq Français à bord du voilier Tanit. "Nous avons proposé bien entendu la totalité de ce que nous pouvions proposer, c’est-à-dire à la fois de leur permettre de pouvoir rejoindre le port, avec un bateau, nous leur avons même proposé une rançon", avait-il déclaré, sans vouloir en dévoiler le montant. Une rupture avec l’attitude traditionnelle du gouvernement français, jamais très prolixe sur ces questions. Caroline Vigoureux - leJDD.fr