Ingrid Betancourt - Quel suivi psychologique pour un ex-otage ? TF1/LCI Quel suivi psychologique pour un ex-otage ?
* Interview - Spécialiste de la psychotraumatologie, le psychiatre François Ducrocq explique ce qui attend Ingrid Betancourt avant de retrouver une vie normale. * Une démarche compliquée par la surmédiatisation de cet événement.
Propos recueillis par Matthieu DURAND - le 03/07/2008 - 12h31
François Ducrocq est psychiatre au CHRU de Lille et coordinateur interrégionale des cellules d’urgence médico-psychologique. Habitué à traiter des victimes d’événements traumatisants, il livre à LCI.fr son analyse sur la situation d’Ingrid Betancourt. LCI.fr : Comment se déroule l’accueil d’une personne qui sort d’une prise d’otages ou d’une séquestration ?
François Ducrocq : On est toujours très vigilants à ce qu’on appelle "le retour des enfers". On peut assister à des difficultés de réadaptation à la vie normale. Surtout si la rencontre avec la mort s’est jouée à plusieurs reprises. Dans les tout premiers temps, il y a des débriefings très techniques avec des aspects militaires ou policiers et ça ne concerne pas les psychiatres sur place. Ensuite, la victime rencontre sa famille, ses proches. Puis au cours de la première semaine après sa libération, se met en place une démarche de soins. Les médecins cherchent d’abord à évaluer l’état psychologique de l’ex-otage puis à mener une psychothérapie à moyen et long terme. Cela peut être très long. Chez certains anciens combattants de la guerre d’Algérie que j’ai suivis, cela a duré un an. Alors, pour Ingrid Betancourt, qui est restée captive six ans...
LCI.fr : Au cours de ces entretiens avec l’ex-otage, que cherche à faire le psychiatre ?
F. D. : On va favoriser le récit émotionnel pour aboutir à une catharsis. Ce n’est pas le fantasme de tout faire sortir mais plus le sujet a la capacité à aborder la complexité de ses émotions, moins le traumatisme aura un impact sur lui. On marche évidemment sur des ufs.
LCI.fr : Les débriefings avec la police ou les militaires perturbent-ils la thérapie ?
F. D. : Cela complique les choses.
LCI.fr : De quels troubles peuvent souffrir les ex-otages ?
F. D. : Les conditions de détention, notamment l’hygiène alimentaire, ne sont pas sans séquelles à moyen et long termes. Quant aux risques psychologiques, cela peut être de l’anxiété, de la dépression, une névrose traumatique, à savoir des flashbacks, des cauchemars, une perte de la vigilance... Les victimes disent souvent : "C’est comme si j’y étais encore".
LCI.fr : Le fait qu’Ingrid Betancourt soit une femme engagée dans un combat politique, c’est un plus pour la thérapie ?
F. D. : Cela a plutôt un effet protecteur car il n’y a rien de pire qu’un acte brutal, d’une injustice totale. Je ne dis pas qu’Ingrid Betancourt avait prévu son enlèvement mais elle avait certainement songé à ce risque, d’une manière ou d’une autre. Par ailleurs, tout ce qui peut donner du sens - un combat politique ou la foi, on l’a entendue remercier Dieu à plusieurs reprises à sa libération - peut aider une personne séquestrée à tenir le coup. Mais parler de force de caractère, dans un cas comme celui-là, ça n’a aucun sens. Ce qui me fait peur d’ailleurs avec toute la personnalité d’Ingrid Betancourt et la médiatisation, c’est qu’elle soit dans une phase de "tout va bien, on tourne la page". Ce serait catastrophique pour la suite de sa thérapie.
LCI.fr : Et la médiatisation de sa séquestration puis de sa libération ?
F. D. : Cela ne simplifie pas le travail du sujet et des médecins. La charge est lourde à porter. Surtout que les interviews s’enchaînent en général très tôt après la libération. Lors d’un direct, cela peut même être potentiellement catastrophique car les journalistes ne vont pas percevoir les situations de stress extrêmes par lesquelles passe l’ex-otage - c’est normal, ce n’est pas leur métier. Mais le sujet va peut être dire des choses énormes qui ne seront pas forcément le reflet de la réalité. Ces interviews n’aident pas à libérer la parole des victimes ; en revanche, cela peut aider d’autres gens qui ont été confrontés à ce type de situation et qui, en voyant ou en écoutant la victime, vont se dire qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent se faire soigner.
LCI.fr : Rencontrer d’autres personnes qui ont aussi été otages peut-il avoir un effet libérateur ?
F. D. : Je ne suis pas sûr que ce soit positif. Il n’y a pas besoin d’avoir eu le cancer pour être cancérologue. En surface, deux ex-otages vont avoir a priori plus de choses à échanger mais chacun va s’enfermer dans son récit. Je l’ai souvent constaté avec des patients que j’ai entendus discuter dans la salle d’attente. Il n’y a pas d’effets thérapeutiques à en attendre.
LCI.fr : Quel peut être l’impact psychologique du soutien populaire dont a bénéficié Ingrid Betancourt ?
F. D. : Lors de sa captivité, si elle en a été consciente, cela a pu l’aider de manière extraordinaire, voire lui sauver la peau. C’est plus encombrant aujourd’hui car l’étiquette d’otage va lui être définitivement collée. Elle peut même en concevoir une forme de culpabilité sur le thème : "est-ce que je mérite tout ça ?" Mais que voulez-vous ? Cela fera partie des choses qu’elle abordera avec son psychiatre.
LCI.fr : Justement, Ingrid Betancourt sera-t-elle toujours suivie par le même psychiatre ?
F. D. : Tout à fait. Ce sont en général, les mêmes équipes spécialisées en psychotraumatologie qui suivent les victimes car il s’agit de prises en charge de haute spécificité qui ne peuvent pas être assurées par n’importe quel psychiatre.