OTAGES SAHEL - 7 décembre 2011 Sahel, la bataille des otages
Source : LIBERATION - grand angle )
« Tout est à refaire. » De l’aveu même des proches du dossier, les négociations avec Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), qui détient, depuis plus d’un an, quatre otages français dans le Sahel, sont au point mort. Et leurs familles peuvent légitimement s’inquiéter. Car fin novembre, en quelques jours, la situation s’est considérablement dégradée. Après la mise hors jeu d’un négociateur mandaté par Paris, blessé par des militaires maliens, deux autres ressortissants français ont été enlevés au Mali et trois touristes occidentaux ont, à leur tour, été kidnappés. Hier, dans un communiqué non authentifié transmis à l’AFP, Aqmi revendiquait ces deux opérations. Libération reconstitue le fil de ces événements marqués par des rivalités entre les différents acteurs de ce drame.
Le coup de tonnerre de « Paris-Match »
Pour ceux qui suivent de près le dossier des otages du Sahel, la double page de Paris-Match du 10 novembre fait l’effet d’une bombe. Son auteur, Patrick Forestier, raconte les déboires de deux équipes françaises rivales qui tentent d’obtenir la libération des cinq compatriotes et de deux étrangers enlevés à la mi-septembre 2010 par Aqmi à Arlit, une ville du Nord-Niger où Areva exploite, depuis la fin des années 60, des gisements d’uranium vitaux pour l’Hexagone. Des salariés de la compagnie du nucléaire civil et de l’un de ses sous-traitants, Satom (une filiale du groupe Vinci). Au lendemain du rapt, une première équipe - structurée autour des réseaux d’Air France, traditionnellement bien implanté en Afrique - se met en mouvement. Le PDG de la compagnie aérienne, Jean-Cyril Spinetta, qui préside par ailleurs le conseil d’administration d’Areva, fait appel à l’un de ses bras droits : Guy Delbrel. Bon connaisseur de la région, ce dernier a ses entrées au palais de Bamako. Soutenu par les responsables maliens, et avec le feu vert de l’Elysée, il entame sa mission pour tenter d’établir le contact avec Abou Zeid, le chef de la katiba (brigade) d’Aqmi qui détient les Français.
Mais fin 2010, un homme fait irruption sur l’échiquier des négociations : le colonel Jean-Marc Gadoullet - dit « JMG ». « Au plus haut niveau de l’Etat à Paris, on nous a signifié que, désormais, ce serait lui qui dirigerait les tractations », confie un proche du dossier. Ancien de la DGSE (Libération du 26 novembre), il a beaucoup bourlingué à travers le monde, avant d’être mis en cause, en 2008, dans la disparition à N’Djamena d’un opposant tchadien, Ibni Oumar Mahamat Saleh. Officiellement, Gadoullet quitte « la grande maison » (la DGSE) pour se reconvertir dans la sécurité privée, d’abord en Centrafrique, puis au Sahel, où Vinci le charge d’assurer la protection de ses équipes. JMG démarre sa mission en lieu et place de l’équipe d’Air France, qui affirme s’être effacée. Gadoullet prétend le contraire au journal le Monde. Et accuse même ses « rivaux » de lui avoir mis des bâtons dans les roues, prolongant d’autant le calvaire des otages.
Cette bataille franco-française dégénère. Comme l’a raconté Paris-Match, l’ex-négociateur d’Air France va faire face à une incroyable série d’actes d’intimidation. A la suite de la découverte de paquets de drogue sous son siège dans un avion en provenance de Bamako, sur sa propre compagnie, le voilà interrogé par la police française, et mis hors de cause. Plus tard, de retour de Roissy, son véhicule est percuté par un autre ; sa maison de campagne dans le Sud-Ouest brûle ; sa voiture tombe bizarrement en panne...
Cherche-t-on à le faire taire ? Même hors jeu, Guy Delbrel garde ses entrées au plus haut niveau à Bamako. Et, de ce fait, n’ignore rien de la colère qui monte dans l’entourage du président malien, Amadou Toumani Touré (dit « ATT »), à l’encontre de Gadoullet. Certes le négociateur français, dont des sources concordantes évoquent les « manières de cow-boy », a obtenu des résultats : en février, Aqmi finit par relâcher trois des sept otages d’Arlit - l’épouse d’un salarié d’Areva, Françoise Larribe, et les deux étrangers (togolais et malgache). Mais à quel prix ?
L’entourage d’ATT recommandait de débloquer 2 millions d’euros par otage, comme cela avait été le cas en août 2010 pour exfiltrer deux touristes espagnols. Or il semble que les Français aient mobilisé une somme bien plus conséquente (le chiffre de 13 millions est évoqué à Bamako). Au risque de faire monter les enchères. Et pour corser le tout, Maliens et Français se renvoient des accusations d’« évaporation » de la majeure partie de la rançon destinée à Abou Zeid. Enfin, selon plusieurs sources fiables, ATT a limogé le chef de ses services de renseignements, après avoir découvert que ce dernier avait touché en catimini une commission substantielle dans l’opération. « JMG » hors jeu, deux otages de plus
Le 23 novembre, JMG est blessé par balle à l’épaule près de Gao, au Mali, par des militaires locaux. Accompagné par un chauffeur touareg, le Français aurait tenté de forcer un barrage flottant, car il pensait avoir affaire à des bandits de grand chemin. « Un accident », assure-t-on à Paris. Possible, mais la mise hors circuit du colonel Gadoullet - actuellement hospitalisé en région parisienne, « il en a pour un bon mois », dit un proche du dossier - ne déplaît pas forcément à Bamako, où il n’est plus en odeur de sainteté. Il était entré sur le sol malien en toute discrétion. Comme s’il se méfiait des autorités locales, qui craignent d’être court-circuitées dans leurs négociations avec Aqmi.
Pourtant, initialement, celles-ci lui avaient apporté un concours précieux, mettant à sa disposition des intermédiaires bien introduits auprès des réseaux d’Aqmi. C’est le cas d’un homme clé dans cette affaire : Iyad ag-Ghali. Originaire de Kidal (nord), cet ancien chef rebelle touareg, qui dispose de connexions solides avec des membres du réseau d’Abou Zeid, aurait permis à Gadoullet d’établir le contact avec le chef de la katiba détenant les Français.
Simple coïncidence ou mesure de représailles ? Quelques heures après le tir sur Gadoullet, dans la nuit du 23 au 24 novembre, un commando armé pénètre dans un petit hôtel de Hombori (située entre Gao et Mopti) pour y enlever, en pleine nuit, deux Français présentés comme des « géologues », travaillant officiellement sur un projet de cimenterie. Dans un premier temps, aucun groupe ne revendique le rapt de Phlippe Verdon et Serge Lazarevic, deux hommes dotés d’un drôle de pedigree. Le premier a fréquenté le « corsaire de la République » Bob Denard, et été accusé, aux Comores, d’avoir voulu fomenter un putsch en 2003. Naviguant dans les milieux du mercenariat, le second a été actif au Congo en 1996-1997, lors de la chute de Mobutu, et mis en cause en Serbie dans un ténébreux projet d’assassinat de Slobodan Milosevic en 1999. « S’ils sont géologues, c’est qu’ils ont suivi une formation ultra-accélérée », raille un proche du dossier à Paris, qui penche plutôt pour une tentative d’escroquerie d’un entrepreneur local, stoppée net par un groupe armé. Mais lequel ? Dès le lendemain de leur rapt, un nom est cité avec insistance par des experts : celui d’Iyad ag-Ghali. Le même qui, encore tout récemment, jouait les intermédiaires avec Aqmi. Pour certains observateurs, ce kidnapping lui permettrait, en montrant son pouvoir de nuisance, de se repositionner au sein de la nébuleuse touareg, en pleine recomposition depuis la guerre en Libye et la mort accidentelle (en août dernier) d’Ibrahim ag-Bahanga, son chef le plus radical. Des centaines de combattants touaregs à la solde de feu Muammar al-Kadhafi sont revenus au Mali, et réclament un statut d’autonomie, menaçant de reprendre les armes contre Bamako. Mais d’autres sources sécuritaires locales, citées par l’AFP, imputent le rapt des deux « géologues » à Aqmi. Les deux hypothèses ne sont pas si contradictoires qu’il y paraît. Par le passé, plusieurs enlèvements d’étrangers dans le Sahel ont été effectués par des groupes crapuleux, qui ont ensuite « vendu » leur butin aux islamistes radicaux. Le Mali est devenu une vraie pétaudière - une réalité qui échappait peut-être à Philippe Verdon et Serge Lazarevic.
Drame à Tombouctou
Comme si la situation devenait soudainement incontrôlable, au lendemain du rapt des deux Français, le 24 novembre, un commando armé s’en prend à des touristes étrangers à Tombouctou, « la perle du désert ». Un Allemand, qui tentait de résister, est abattu. Trois autres Occidentaux (un Britannique, un Néerlandais et un Suédois) sont enlevés. Pour Paris, ce nouveau rapt porte la signature d’Aqmi. « C’est une cellule de la katiba d’Abou Zeid qui a fait le coup, chaque clan a désormais ses otages... », assure un proche du dossier.
Mais la précipitation avec laquelle a eu lieu l’opération de Tombouctou, avec un mort à la clé, laisse perplexe. « Les hommes d’Aqmi ont peut-être agi pour se protéger, dit une source bien informée. Des soldats et des hélicoptères français avaient été déployés suite au rapt d’Hombori, et Aqmi a voulu prendre des boucliers humains. » Face à la multiplication des prises d’otages, la France a renforcé son dispositif militaire dans le Sahel, essentiellement composé de forces spéciales : en Mauritanie, au Burkina Faso, mais aussi au Mali.
Pour Bamako, qui qualifie l’opération de Tombouctou d’« attaque terroriste », le coup est rude. Jusqu’ici, les rapts avaient lieu au Niger voisin, permettant au Mali de nier le problème. A Bamako, ATT allait jusqu’à mettre en doute la présence d’Aqmi sur son sol. Lourdement affecté dans son économie, qui repose fortement sur le tourisme, Bamako affirme désormais être en première ligne. « Jusqu’ici, assure un observateur, ATT avait établi une sorte de gentlemen’s agreement avec Aqmi : vous ne prenez pas d’otages sur le sol malien, et on vous laisse tranquilles. C’est fini : avec les rapts d’Hombori et de Tombouctou, son système prend l’eau de toutes parts. » Et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les otages.