OTAGES FRANCAIS : informations et actions de sensibilisation

DOCUMENTATION SUR LES OTAGES

(JPG) Mobilisation pour Guy-Andre Kieffer, journaliste français disparu en Côte d’Ivoire

(JPG) Michel Germaneau : otage français enlevé au Niger le 19 avril 2010

OTAGES AFGHANISTAN : HERVE GUESQUIERE ET STEPHANE TAPONNIIER, LIBRES !

INGRID BETANCOURT

OTAGES COLOMBIE : EMISSION RTBF INGRID BETANCOURT "DITES MOI" 2002

(JPG) Emission de la RTBF diffusée le 8 février 2002(15 jours avant l’enlèvement d’Ingrid...)

Mise en ligne le 28 janv. 2008

Extrait de l’ultime "dites-moi" ( enregistré le 08/11/2004), émission animée pendant 19 ans par Michèle Cédric sur la rtbf. Pour l’occasion, Bernard Werber joue le rôle du journaliste et Michèle Cédric, celui de l’invitée. Ensemble, ils évoquent les moments marquants de l’émission. Parmi ceux-ci, le passage d’Ingrid Bétancourt, 15 jours avant son enlèvement...


Dites-moi...Ingrid Betancourt (1/4) par odette11


Dites-moi...Ingrid Betancourt (2/4) par odette11


Dites-moi...Ingrid Betancourt (3/4) par odette11


Dites-moi...Ingrid Betancourt (4/4) par odette11

Travail de retranscription effectué par le site Ingrid 4

L’INTERVIEW

En mai 2002, notre invitée deviendra peut-être la présidente de la république de la Colombie.

« Si on lui laisse la vie »,

car pour sortir son pays de la corruption généralisée, Ingrid Bétancourt, sénateur de 41 ans, ose dénoncer, s’attaquer aux responsables politiques et aux narcotrafiquants.

Mais à quel prix ?

Vous serez fascinés par la force et la grâce qui l’animent.


Michèle Cedric : Ingrid Bétancourt, Bonsoir.

Alors je suis vraiment, vraiment très heureuse de vous accueillir, parce qu’il y a eu tellement d’obstacles à franchir avant cette rencontre et je dois vous remercier parce que c’est votre obstination et peut-être la nôtre aussi qui fait qu’on soit ensemble ce soir.

Merci d’être là.

Ingrid Betancourt : C’est vrai et je vous remercie beaucoup.

Michèle Cedric : Alors on va regarder des photos qui retracent un peu votre parcours de vie. Et on va commencer par cette photo. Voilà : ?

Vous êtes venue au monde, il faut le dire à Bogota, la capitale de votre pays, un an après votre sœur Astrid, qu’on voit là sur la photo avec votre maman.

Ceci est une photo beaucoup plus actuelle de vous avec vos parents.

Une maman engagée politiquement et surtout socialement à Bogota.

Un père, homme intègre, ancien ministre de l’éducation, Ambassadeur de Colombie à l’UNESCO et en France, c’est là, Avenue Foch, à Paris, où les fonctions de votre père avaient entraîné la famille que naîtra sans doute votre vocation sous un piano à queue, dans un immeuble somptueux, où vous viviez. ?

Après des études de sciences politiques, vous deviendrez l’épouse comblée d’un diplomate français en poste en Equateur, puis aux Seychelles.

Et là, on vous voit, avec vos parents aux Seychelles.

Mais ce bonheur paradisiaque vous paraîtra vite indécent face à la violence et à la misère vécue par votre peuple en Colombie.

Vous renoncerez alors au confort, à l’argent, à la vie de famille aussi, pour rejoindre votre pays, combattre la corruption et vous engager en politique.

A 33 ans, vous êtes élue députée.

On vous voit ici avec Clara, une amie et juriste.

Rien ne pourra alors vous arrêter, malgré les menaces de mort, les tentatives d’assassinat.

En 98, vous deviendrez sénatrice.

Et cette photo était paraît-il la photo officielle de votre campagne électorale.

Votre livre autobiographique, « La rage au cœur » nous fait découvrir la force, la détermination qui vous habite face aux narco-trafiquants et aux politiciens corrompus.

Votre livre autobiographique, « La rage au cœur » nous fait découvrir la force, la détermination qui vous habite face aux narco-trafiquants et aux politiciens corrompus.

Aujourd’hui, ce minibus vous emmène dans les régions les plus reculées de Colombie, car vous êtes à nouveau en campagne électorale et les élections prochaines vous verront, nous vous le souhaitons vraiment, Ingrid, à la tête de la Colombie, présidente de la République.

Alors on va commencer par le début, c’est normal !

On disait que votre vocation politique était née sous un piano à queue dans un immeuble somptueux.

En fait vous étiez là, parce que votre père avait été appelé à Paris, c’est bien ça ?

IB : Oui, c’est ça. Ma famille a toujours travaillé pour la Colombie. Mon père était à ce moment-là ambassadeur et parce qu’il était ambassadeur, toutes les personnalités importantes qui passaient par Paris, les Colombiens importants, venaient à la maison.

Et donc, il y avait des discussions très passionnées sur le destin de la Colombie, très politiques, et c’étaient des discussions dans lesquelles les enfants ne participaient pas.

Alors on devait dire « bonjour, bonsoir », on nous envoyait ensuite dans notre chambre.

Et moi, je faisais le tour et je revenais pour écouter ce qu’ils disaient.

Et comme je n’étais pas admise dans la réunion, je me cachais sous le piano à queue du salon.

Et j’ai des souvenirs d’écouter donc ces conversations dans lesquelles il y avait évidement beaucoup d’émotions et de sentir dans les propos qui se tenaient tellement de violence et d’engagement dans tout ce qui se disait, que j’avais mal à l’estomac.

J’ai encore cette espèce de sensation physique de sentir l’angoisse que me produisait tout ce qui se disait chez mes parents et à ce moment-là, je comprenais que la Colombie avait des problèmes, mais je n’arrivais pas du tout à saisir la réalité de ces problèmes.

Lorsque mes parents disaient « La Colombie risque une catastrophe », pour moi c’était..

un tremblement de terre, l’horreur, les gens qui mourraient. C’était très visuel, je n’arrivais pas à faire une abstraction intellectuelle de tout ce qui se disait. Donc je le vivais personnellement physiquement de façon très violente. MC : Mais donc vous viviez une vie assez mondaine, puisqu’il y avait des réceptions sans arrêt chez vous, avec tout ..

IB : Mes parents !

Oui bien sûr, mais il y avait aussi Anita qui était là quand même pour remettre de l’ordre dans tout ça, pour vous faire voir clair, non ?

Anita, c’était notre nourrice, elle habitait avec nous et s’occupait de nous tout le temps.

Et j’avais avec Anita des dialogues extraordinaires.

Pour moi, c’était vraiment... je pense que c’était vraiment la voix de la conscience.

Il y avait, il y avait beaucoup de sagesse chez cette femme. C’était une portugaise, d’un milieu humble, mais très intelligente, très fine et qui regardait tout ce que nous vivions et qui me disait :

« Ingrid, ce que tu vis ici, et ce que tu vois ici, tout le confort que tu as, c’est une illusion.

La vie peut te donner des surprises. Et il faut que tu sois préparée, parce que la vie souvent elle est facile, comme ce que tu vis aujourd’hui, mais elle peut devenir aussi très dure. »

Et elle me racontait la guerre, elle me racontait ce qu’elle avait elle-même vécu.

Et puis nous avions d’autres exemples. Il y avait dans l’immeuble, dans les derniers étages de l’immeuble, habitait un monsieur qui s ‘appelait Monsieur Constantin. C’était un Russe, un aristocrate russe qui avait fini par vivre dans une chambre de bonne et qui vivait en servant dans l’immeuble. Et c’était un homme tout à fait exceptionnel également.

Et quand mes parents recevaient, moi, j’étais plutôt dans la cuisine et je parlais avec eux.

C’était merveilleux parce que c’était aussi une façon de voir le monde sous un autre angle, que moi j’aimais beaucoup, plus peut-être.

MC : Il y avait quand même certains des invités de vos parents que vous approchiez, comme Pablo Neruda avec qui vous échangiez vos poèmes ! C’est drôle ça !

IB : Pablo Neruda, je ne savais pas que c’était Pablo Neruda.

C’est à dire que dans le monde qui arrivait à la maison, il y avait un monsieur que j’aimais beaucoup, qui s’appelait Pablo. Il me disait Tio Pablo et bon, moi c’était Tio Pablo !

Et souvent les adultes n’ont pas le temps pour les enfants.

Les enfants, ça fait partie des objets de la maison.

On dit « bonjour », on passe. On ne sait même pas leur nom.

Mais lui, prenait toujours le temps d’avoir une petite conversation avec moi, de me prendre dans ces bras. Il était très chaleureux !

Et quand par la suite, en grandissant j’ai compris qui était Pablo Neruda, j’ai compris aussi ce que c’est « être grand » .

Etre grand, ce ne sont pas les honneurs, être grand, c’est avoir du temps... pour les autres,

Grandeur d’âme.

MC : On peut peut-être parler de vos parents, parce qu’ils ont une importance vraiment capitale dans votre vie, comme tous les parents on va dire, mais enfin ils vous ont donnés quand même des exemples assez beaux.

Et on a une photo de votre maman avec un des présidents de la Colombie qui était le président Barco. ?

IB : :Oui.

MC : Et votre maman a été élue, elle aussi, députée aussi un jour ?

IB :Oui. Elle a été au conseil Municipal, elle a commencé là.

Finalement maman rentre en politique, parce que son obsession, ce sont les enfants abandonnés de Bogota.

Il y a ce qu’on appelle les « gaminez », ce sont des enfants de familles qui sont rescapées de la violence, qui arrivent se réfugier dans la ville de Bogota.

Et les parents au chômage envoient leurs enfants dans la rue pour chercher de quoi vivre et demander l’aumône.

Et ce sont des enfants qui en général finissent par vivre complètement dans la rue.

Et maman, à ce moment-là, elle doit avoir 18 ans, elle est choquée par ce contraste de gens très aisés à Bogota qui vivent et passent par-dessus, en marchant par-dessus les enfants qui dorment dans la rue.

Et elle décide de s’en occuper et c’est extraordinaire parce que c’est une jeune fille qui va utiliser toutes les relations qu’elle va avoir.

MC : Et elle en a parce qu’elle est reine de beauté !

IB : Oui ! Elle était reine de beauté, donc toutes les portes s’étaient ouvertes pour elle.

Et elle utilise ces relations pour chercher d’abord un endroit où loger ces enfants, où leur donner une maison.

Et puis peu à peu, la chose devient de plus en plus sophistiquée jusqu’au moment où elle décide véritablement d’organiser des foyers pour enfants avec des parents qui vont s’occuper de familles de 10, 20, 30 enfants maximum dans des petites maisons qu’elle va construire.

Et moi, j’ai connu tout ce développement dans la conception du projet de maman. C’est à dire, je me souviens, petite fille, l’accompagnant pour faire des présentations aux enfants, les anniversaires des enfants, les emmener au cinéma etc..

Et puis peu à peu, cela devient une grande formation.

Et maman, c’est ça. Elle rentre en politique parce qu’elle veut des solutions pour les enfants de la rue et elle va y arriver ! Très bien !

MC : On sait de qui vous tenez là quand même !

IB : J’ai eu beaucoup de chance d’avoir les parents que j’ai eu.

Il y a des choses qu’on ... enfin, je n’ai pas choisi mes parents, mais je remercie le ciel, tous les jours de les avoir eus.

Je suis ce qu’ils sont en moins bien. Mais je fais ce que je peux.

On va voir d’ailleurs votre père là : Il est à coté du président Kennedy. C’est le monsieur avec le nœud papillon ?

IB : Oui

MC : Et votre père, là c’était à Washington ?

IB : Oui, c’était à Washington. Il, papa s’est concentré sur l’éducation. d’ailleurs quand il a été ministre de l’Education, les Colombiens, le taux d’alphabétisation a augmenté, enfin, ça a été vraiment une révolution éducative ce qu’il a fait.

Et là on le voit avec Kennedy. C’était au moment où Kennedy voulait l’alliance pour le programme en Amérique Latine.

Une idée qui finalement ne s’est pas concrétisée, mais qui je crois est toujours en vogue. Il faut la faire, c’est à dire ces rapports entre l’Amérique Latine et les Etats Unis dans lesquels l’Amérique Latine est un associé à part entière et n’est donc pas une espèce de colonie nouvelle version, et dans laquelle les rapports se nourrissent de valeurs et de principes.

Donc au-delà des échanges commerciaux et des intérêts économiques : l’être humain, le contact entre les êtres humains qui finalement, .. c’est l’important.

Et si la globalisation aujourd’hui a un sens, c’est peut-être celui- là : les valeurs et les principes.

MC : Ce que vous admirez surtout chez votre père, c’est son intégrité aussi ?

IB : Ah oui, oui.

MC : Un incorruptible.

IB :Totalement. Je pense que c’est même au-delà de l’incorruptible, puisque la corruption ne peut même pas l’effleurer. C’est à dire, je vais dire, il n’y a pas de vénalité chez mon père.

Il n’y a pas de désir de possession chez lui. C’est très étonnant dans un siècle de consommateurs d’avoir un être humain comme lui à côté de vous qui .., dont l’énergie est vouée à de grandes causes et jamais au désir de possession matérielle.

C’est un très bel exemple !

MC : Mais c’est peut-être aussi ces parents, vos parents qui vont vous donner envie de faire vos études des sciences politiques ?

IB : Oui, il y a eu un débat entre eux.

Parce que maman me poussait beaucoup à faire des études de Sciences Politiques.

Papa trouvait ça ..., il ne trouvait pas que c’était une belle idée, parce qu’il me voyait plutôt dans quelque chose de plus littéraire ou philosophique.

MC : Il pensait que la politique était une activité...

Dangereuse peut-être ?

IB : Pas réellement dangereuse à ce moment-là, mais plutôt sale peut-être, où il fallait faire des choses pas très nettes. La politique en Colombie depuis longtemps était devenue le centre de corruption du pouvoir, de tous les pouvoirs économiques et politiques.

Et donc, il ne voulait pas que sa fille prenne part dans ce monde, qu’il méprisait énormément et dont il s’était toujours maintenu très à l’écart.

Et donc il a fallu que je lui explique que si je voulais faire Sciences-Po, c’était d’un point de vue très universitaire et pour faire des études, pour analyser .. Et pas du tout pour devenir politique à mon tour.

Et quand finalement, je me suis présentée aux élections, ça l’a surpris et il n’a pas tellement apprécié. MC : C’est IB :vrai ?

IB :Oui !

MC : Depuis il dit « Je ne suis plus le ministre Bétancourt, je suis le père d’Ingrid ! »

IB : Oui, ça, c’est très drôle parce que pendant très longtemps, il a été Monsieur Gabriel Bétancourt, Le Ministre ou L’Ambassadeur, et tout le monde faisait référence à lui.

Et maintenant son grand joke, c’est de dire « Ah ! Je ne suis plus Gabriel Bétancourt, je suis le père d’Ingrid ! » C’est très mignon, je trouve !

MC : Vous avez une relation très, très proche avec votre père ?

IB :Oui, très proche, très complice parce qu’en fait, on s’est beaucoup battu.

Il y a eu un période noire...

C’était un homme .. il a fallu que je lui prouve et par exemple en politique, lui prouver que faire de la politique, c’était aussi accomplir un chemin qu’il fallait accomplir,

et qu’il avait toujours refusé de participer en politique et que probablement ... il aurait dû !

Enfin, il y avait une discussion entre nous sur l’engagement et l’engagement c’est aller jusqu’au bout de la cause, même si cette cause est difficile et même si l’on doit entrer dans un milieu qui n’est pas celui dans lequel on aurait voulu être.

La politique en Colombie est très, très dure.

Etre dans le Congrès Colombien pour une personne, pour un citoyen normal qui n’est pas dans les combines et dans l’affairisme, c’est une épreuve ... de caractère et de volonté.

Il faut vraiment affronter un monstre et c’est le monstre à l’intérieur des entrailles du monstre.. Donc on voit tout et ... c’est très pénible.

MC : Il y a de grands moments de découragements.

Je pense en 97, où vous dites un moment « Pourquoi avoir sabordé ce bonheur d’être ensemble ? »

...

C’est encore vrai aujourd’hui apparemment.

IB : Oui.

MC : Ils sont encore loin de vous actuellement pendant cette période électorale ?

IB : Oui. Oui.

MC : C’est pour ça que vous dites « Plus vite je serai élue présidente, plus vite je, plus vite, je serai près de mes enfants. »

IB : Plus vite je les aurai près de moi, oui. Ca, c’est vrai.

MC : Mais votre arme à vous, ce sont les mots ?

IB : Oui, c’est mon arme et c’est mon bouclier également. Les mots sont puissants, les mots sont magiques, les mots peuvent faire beaucoup de bien et les mots peuvent faire beaucoup de mal, quand ils sont teintés de mensonges.

La Colombie vit dans un monde de mots, dans un monde de mots qui n’ont plus de sens.

Les gens disent beaucoup de choses et plus personne ne les croit.

Et j’essaie de donner un sens aux mots, de donner un sens à ce qu’on croit, aux valeurs et aux principes. Je crois qu’être humain, c’est ça.

Etre humain, c’est avoir la possibilité d’aller au-delà, au-delà de certaines choses, pour défendre ce qui pour nous en tant qu’être humain est nécessaire et obligatoire.

Il y a des choses auxquelles on ne peut pas renoncer :

la justice par exemple

la vérité, le droit à la vérité,

le droit au deuil,

le fait de savoir que quelqu’un a été tué pour pouvoir l’enterrer.

En Colombie, la violence fait que les gens disparaissent. Les êtres qui restent, les familles ne savent pas si ils sont morts ou s’ils sont vivants et ils passent des années, 20, 30 années en attendant que cette personne revienne, parce qu’ils n’ont pas vu le cadavre.

Il faut enterrer ses morts, il faut avoir la vérité.

MC : Oui. Vous, vous vivez encore sous pression comme ça, voiture blindée, gardes du corps ? Vos enfants aussi ?

IB :Non, mes enfants, non. Heureusement, non !

Ils sont loin et ...

Ils sont libérés de tout ça. Quand ils étaient près de moi, ils ont du vivre ça. Et c’était très pénible pour eux. Ils ont beaucoup souffert. Spécialement Mélanie, parce qu’elle est plus grande. Elle est.., c’est une adolescente et elle veut être avec ses amies et le fait d’avoir des gardes du corps derrière elle pour la suivre, c’est..

Elle voulait avoir sa liberté et son indépendance.

Lorenzo, c’était un petit peu différent. Parce qu’il était encore enfant et c’était plutôt pratique parce que s’il oubliait son cartable, il y avait toujours quelqu’un pour aller le chercher !

...

Mais non, c’est pénible. Parce que, d’abord, le fait de vivre avec des gardes du corps autour de vous, c’est un rappel constant du danger.

Vous ne pouvez pas oublier une seconde que vous êtes en danger.

C’est aussi savoir que des gens qui sont là pour vous, ils sont là pour vous.

Si quelque chose arrive, ils vont tout faire pour vous protéger et ils peuvent perdre la vie pour vous.

Et ils le savent. Et moi, je le sais.

Et ça crée des relations très, très fortes.

C’est dur !

MC : Quand on vous demande votre plan de bataille pour cette campagne électorale, vous dites : « Arriver vivante jusqu’aux élections. »

IB : Oui. C’est la règle du jeu. J’ai vu en Colombie des gens extraordinaires, héroïques, brillants, qui se sont fait tuer.

On les a enterrés.

Et on les a oubliés.

Si je veux véritablement faire quelque chose pour mon pays, il faut que je sois vivante.

Sinon, je ne pourrai plus rien faire après.

MC : J’ai envie de vous demander : « Mais comment avez-vous fait en ayant dit tout ce que vous avez dit, en ayant dénoncé tout ce que vous avez dénoncé pour être encore en vie ? »

C’est un peu ça qu’on a envie de poser comme question.

IB : Il y a beaucoup d’explications à ça.

D’abord, je crois qu’il y a ... Dieu. Je crois en Dieu.

Et je pense ensuite qu’il y a des circonstances°, le fait que je suis maintenant en vue.

Le fait d’avoir publié ce livre « La rage au cœur » en France et que beaucoup de personnes dans le monde ont compris ce qui se passait en Colombie. C’est une forme de protection pour moi.

MC : Une assurance-vie ?

IB : Oui, c’est une assurance-vie.

Je pense aussi que le fait de venir d’un milieu qui fait partie de cet établissement finalement fait que l’on peut d’une certaine façon accepter de moi des paroles que d’autres ne pourraient pas dire. C’est triste de dire ça, parce que ça montre jusqu’à quel point la Colombie n’est pas un pays dans lequel tout le monde a les mêmes possibilités. Mais, je crois que cela aussi est vrai. Et je crois que pendant très longtemps, l’établissement colombien m’a sous-estimée :

Eh bien, pendant très longtemps, on m’a sous-estimée.

« C’est une jeune fille, elle dit des choses, c’est pas grave ! »

« Elle dit des choses qu’on aurait pas osé dire peut-être ! »

MC : On a essayé de vous salir aussi parce que vous étiez une femme, une jeune femme ?

IB :Oui.

Non, la guerre, c’est une guerre.

Quand on monte sur le ring, on donne des coups, on reçoit des coups.

Il faut savoir qu’on va les recevoir, apprendre à se défendre, apprendre à parer les coups, apprendre à ne pas connecter son système nerveux aux moments de ces attaques.

Le calme, c’est à dire, savoir être lucide aux moments de crises, aux moments où l’on est le plus attaquée.

Cela s’apprend et c’est évident que c’est très difficile de naître avec ça.

Ce n’est pas mon cas et je l’ai appris, parce que j’ai pris plein de coups durs très forts sur le visage. MC : Même quand vous étiez sénateur ?

On dit sénateur ou sénatrice ?

IB : On dit sénateur.

On peut dire sénatrice, c’est plus égalitaire. Sénateur, c’est plus joli !

MC : Sénateur depuis 98, vous l’êtes et maintenant donc, vous êtes en campagne pour l’élection du président, de la présidente de la République de Colombie !

Et il y a une photo, là où on vous voit.

Elle sera d’ailleurs dans le livre qui va sortir je crois en Amérique.

On vous voit avec un minibus. Et c’est dans ce minibus que vous circulez pour aller où vous voulez en fait.

IB : Oui. Ce minibus s’appelle une chiva et c’est le bus traditionnel que prennent les Colombiens et qui va n’importe où en fait. C’est à dire dans les coins les plus perdus, là où il n’y a pas véritablement d’accès. Et ce sont des accès ouverts un peu n’importe comment et qui va n’importe où en fait. C’est à dire dans les coins les plus perdus, là où il n’y a pas véritablement d’accès. Et ce sont des accès ouverts un peu n’importe comment.

Ce bus entre partout et c’est le bus de tous les Colombiens. Des pauvres, des riches, de tout le monde. Tout le monde s’accroche là.

Et ce que j’ai fait, c’est une campagne roulante, parce qu’en fait j’ai mon podium, j’ai un système de son, j’ai des chaises sur le toit de mon bus, donc je me déplace.

Et j’arrive sur une place, sur un petit village en Colombie, je mets mes haut-parleurs, je mets mes chaises, j’invite les gens et j’ai une manifestation. Je peux parler avec les gens.

MC : J’ai vu d’autres photos là que je comprends moins bien.

Vous êtes avec des hommes, mais en carton pâte autour de vous.

Qu’est-ce que c’est ?

IB : Alors ça c’est symbolique.

Les personnes que vous voyez là, c’est ce qu’on appelle les seigneurs de la guerre en Colombie. Alors en Colombie, il y la guérilla, il y a les paramilitaires, ce sont des organisations armées excessivement violentes et nous sommes en guerre civile. Et donc, là c’est une invitation au futur.

Nous sommes le 7 août 2002, c’est à dire le premier jour de mon gouvernement élu dans le futur. Et je suis avec ces personnages.

Celui qui a une serviette sur son épaule, c’est Manuel Marulanda, c’est le chef des FARC, de la guérilla. A côté de lui, il y a Galbino, le chef du ELN, une autre guérilla. De l’autre coté, il y a les commandants des forces militaires colombiennes, le général Tapies, le général Mora. Et plus loin, on ne le voit pas sur la photo, il y a Carlos Castano qui est le chef des paramilitaires. Et c’était un moyen de dire aux Colombiens : « Voilà, le jour où je serai élue, je vais parler avec tout ce monde, parce que il faut faire la paix. » Et ça m’a permis de présenter mon plan de paix. C’est à dire quel est l’agenda avec chacune de ses personnes ? Quelle est la possibilité de travailler vers un cessez le feu et vers un dialogue politique qui nous permette de reconstruire les institutions ? Et comment en même temps démobiliser militairement ces organisations de façon à ce que la Colombie arrive à un système de paix.

Alors c’était quelque chose qui était un petit peu surprenant parce que ces personnes -même en rêve- les Colombiens ne peuvent pas imaginer qu’elles vont un jour être ensemble.

Mais c’est un rêve qu’il faut rêver parce qu’il faudra que ça se fasse !

Et c’était aussi une façon d’ouvrir une porte en Colombie parce que je ne suis pas la candidate de l’établissement colombien. On ne m’aime pas trop.

Et les médias colombiens ont fait très fort dans le sens de me bloquer.

Pas un mot, je ne suis pas dans les sondages, je n’apparais nulle part.

Il y a une espèce de veto absolu sur moi.

C’était déjà le cas pour l’élection de député et...

Ca a toujours été comme ça !

MC : Donc, l’espoir est grand ?

IB : L’espoir est absolu. Vous savez pour vous donner un exemple :

Pour les élections au Sénat. Dix jours avant les élections apparaît un sondage officiel.

Et ce sondage, je ne suis pas dedans. Je n’apparais même pas dans les dix premiers candidats qui vont être élus au Sénat.. Et ensuite j’ai eu la plus grande votation du pays !

Donc, quand on me dit que je n’apparais pas dans les sondages, je garde mon calme, parce que je sais qu’il y a d’autres logiques en place.

MC : Et votre programme, parce que vous en avez un, est-ce que c’est la réforme agraire avant tout, qui arrangerait beaucoup de choses, si j’ai bien compris ?

IB : La réforme agraire fait partie du programme mais dans le cadre de la paix.

C’est à dire, nous avons besoin d’une réforme agraire pour donner une solution aux 100000 paysans qui en ce moment produisent la feuille de coca dans le sud de la Colombie.

Alors, il faut comprendre que pour attaquer le trafic de la drogue, il faut évidement s’attaquer à ce lien pervers entre politiciens et trafiquants de drogue. Il faut attaquer les narcotrafiquants dans leurs comptes bancaires, dans leurs trafics d’armes etc..

Mais, il faut donner une solution sociale à ces paysans qui sont en train de produire la coke.

Pas en versant des défoliants sur leurs cultures ?

Voilà, pas de fulmigations.

Finalement, cette fulmigation, ce qu’elle a permis, c’est d’accélérer la déforestation dans la forêt amazonienne, donc, catastrophe écologique, sans qu’il y ait véritablement de solution puisque la Colombie continue d’être le premier producteur de drogue dans le monde.

Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que ces paysans qui sont dans le sud de la Colombie à défricher la forêt amazonienne, à produire de la coke, le font parce qu’ils ont été expulsés des terres fertiles Colombiennes.

Pourquoi ? Parce que les trafiquants de drogue ont acheté ces terres fertiles à des desseins spéculatifs qui ne donnent pas d’emploi.

Ils ont donc expulsé ces paysans qui ne trouvent plus de place dans notre société.

S’ils arrivent en ville, ce sont des chômeurs. Ils ont donc la possibilité soit de faire partie de la guérilla, donc de l’armée de subversion, soit d’aller planter la feuille de coca dans le sud et il faut une réforme agraire. Il faut une réforme agraire pour les faire passer de paysans vivant dans l’indigence à de véritables producteurs agricoles et pour cela nous avons besoin d’investissements d’état en systèmes d’irrigations, en transports, en communication, de crédits, de l’assistance technique.

Enfin, une politique intégrale qui nous permette de les ramener non seulement à la vie légale, mais aussi au nouveau siècle de globalisation, de modernisation, de qualité de vie et de sécurité. MC : On a l’habitude en fin d’émission de vous demander des choix, de vous proposer des choix, mais d’abord je voudrais savoir si vous aviez l’occasion de rencontrer une personnalité vivante ou disparue, qui aimeriez-vous rencontrer ?

IB : Je crois que j’aurais aimé m’entretenir avec De Gaulle.

Un homme fort, intègre ...

Oui. Oui, parce que quand je lis un petit peu sur De Gaulle, je retrouve dans son combat et dans son radicalisme beaucoup de choses dans lesquelles, dans lesquelles je m’identifie.

il avait beaucoup de mépris pour cette classe politicienne de la 3ème République et de la 4ème République.

Et je pense que en Colombie, c’est un petit peu la même chose.

MC : Alors, on vous propose 2 tableaux de peintres belges.

Alors vous dites celui que vous préférez interpréter.

Celui-là est de Robert Quint et l’autre de Viviane Ludovic Lantin.

IB : Oui. Viviane.

Parce que je vois.. il y a... Ce que je vois, c’est une scène de violence avec des êtres sans cerveau et des femmes qui sont soumises et qui n’ont pas de liberté. Et .. il y a quelque chose de Colombie là-dedans.

MC : Alors je vous propose deux phrases. Il y en a une des deux qui vous parle peut-être plus que l’autre :

« Le difficile, ce n’est pas de donner, c’est de ne pas tout donner. » Colette

Et l’autre :

« On pourra m’ôter cette vie, mais on n’éteindra pas mon chant. » Aragon

Je trouve qu’elles vous conviennent tellement bien toutes les deux.

IB : Oui. Oui. Je crois que je prendrai Colette.

Aragon, c’est très bon et c’est très beau.

Mais Colette, c’est mon problème. C’est comment garder aussi de l’espace pour ceux que j’aime dans cette lutte.

MC : On va bientôt se quitter.

Vous avez choisi une musique pour cette fin d’émission. Elle n’est pas Colombienne.

Non. Elle n’est pas colombienne. Mais..., l’Amérique Latine, c’est une grande famille et il y a de l’âme Colombienne aussi dans cette musique.

Ingrid, on va se dire au revoir.

Je voudrais vous dire que nous serons à vos côtés, en pensée, lors de ces élections présidentielles. J’espère qu’on se reverra et je voudrais vous remercier, bien sûr pour tout ce courage qui est en vous. Mais moi, j’ai aussi envie de vous dire merci aussi pour toute cette pureté qui émane de vous et qui fait du bien. Merci !

IB : Merci.

 
^ Remonter ^
  1. https://thesanctuarycollective.org/
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